Un beau jour, alors que le dragon commençait sérieusement à envisager de s'exiler, ou pire, un chevalier à pied (un pédalier ?) se présenta devant l'entrée de sa caverne. Il n'essaya pas de s'y introduire en cachette comme les autres afin de mieux le surprendre pour l'étriper pendant son sommeil. Il se tenait sur le seuil et il appelait le dragon à pleins poumons.
Le dragon sortit d'un air las et fit sa parade d'intimidation habituelle, roulant des yeux, battant les airs de ses griffes et de sa queue et poussant des hurlements abominables. Parfois ça suffisait. Le pédalier, appelons le ainsi, ne broncha pas mais ne fit pas mine non plus de lever son épée. Il avança vers le dragon et leva son heaume.
Son visage n'était pas spécialement beau, mais ça le dragon n'en savait rien puisque ses standards de beauté étaient ceux d'un dragon, mais l'homme était souriant. Le dragon n'avait jamais vu un homme sourire devant lui. Excepté le vieillard qui lui avait appris tant de choses si longtemps auparavant. Ce sourire lui fit chaud au coeur. Alors le dragon arrêta son cinéma de guerrier et fit signe au pédalier d'entrer. Peut-être n'était-ce qu'une ruse... mais le dragon ne s'en souciait plus.
L'homme ne s'étonna pas qu'un monstre l'invite à le suivre dans son antre... et il continua à sourire. Il ne s'étonna pas non plus lorsque le dragon se mit à parler.
L'homme lui raconta pourquoi il était là :c'était un guerrier qui n'aimait pas tuer, alors on se moquait de lui. Il avait donc décidé de venir voir le dragon. Pour mourir glorieusement et en finir avec les moqueries.
En chemin, il avait parlé avec les villageois car c'était un guerrier qui parlait avec les gens. Même avec les pauvres, et ça n'avait rien d'habituel pour l'élite guerrière. Les villageois - enfin, surtout les villageoises - lui avait parlé du dragon, comme il était vraiment. Alors le pédalier, qui était curieux de connaître ce dragon poli et savant était venu le rencontrer et le voir de ses propres yeux.
Ils papotèrent tranquillement. Le dragon raconta sa vie (ce fût très long car les dragons vivent très vieux) et le pédalier raconta la sienne (ce fût tout aussi long car il avait beaucoup appris et voyagé).
Après une très longue conversation, dans le silence paisible de la nuit, le pédalier avoua également qu'on se moquait de lui car il aimait les hommes plutôt que les femmes. Mais il trouvait rarement d'hommes dignes d'être aimés. Et un peu gêné, il reconnut que les échos des performances du dragon n'étaient pas pour rien dans son désir de le rencontrer. Le dragon eut un sourire, il avait l'habitude.
Pour la première fois depuis longtemps, le dragon put réellement dormir car le pédalier monta la garde toute la nuit devant l'entrée de la caverne.
Au bout de quelques jours, ils avaient pris goût à vivre ensemble. Ils imaginèrent donc ensemble un plan pour retrouver la tranquilité perdue du dragon.
Le pédalier retourna au village en affirmant haut et fort qu'il tuerait le dragon sans coup férir le lendemain et qu'il invitait tout le monde à venir contempler le spectacle. En effet, il prétendait que Saint Michel lui même, en échange de la dépouille du dragon lui offrirait la victoire.
Le lendemain, autour de la caverne, la foule se pressait effectivement nombreuse mais en restant à distance respectable.
Eut lieu alors un combat épique. On en parlerait pendant longtemps à la lueur des flambées hivernales à travers tout le pays. Ceux qui y étaient en conserveraient le souvenir toute leur vie durant, en parleraient à leurs enfant. Et ceux qui n'y étaient pas imagineraient les détails que n'avaient pas vus ceux qui y étaient.
La foule poussait des "Ah !" et des "Oh !" à chaque fois que le pédalier était en difficulté. Les villageois l'encourageaient de tout leur coeur, se signaient et priaient tous les saints qu'ils connaissaient et même les autres. Les villageoises le soutenaient du bout des lèvres, car il le fallait bien, mais elles frémissaient intérieurement à chaque fois que le dragon esquivait un coup meurtrier.
Soudain, alors que le chevalier avait été projeté au sol dans une position désespérée, le dragon se précipita sur lui pour l'achever. Un grand silence se fit dans la foule. Chacun retenait son souffle... Le dénouement fatal était certain.
Mais au dernier moment, comme la gueule du dragon était toute proche de lui, le pédalier releva sa lance brisée en bloquant la hampe contre le sol et le dragon dans son élan vint littéralement s'embrocher dessus dans un hurlement effroyable.
[La fin très bientôt...]
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