Mais bientôt, la toute puissante Eglise eût vent de ces agissements. Elle en informa les chevaliers, et tout occupés qu'ils étaient à guerroyer sans cesse, ils accoururent. L'affaire était grave.
A aucun moment ne fût évoqué la possibilité que ces actes soient liés à une volonté de la part des jouvencelles. D'ailleurs leur volonté ne comptait pas. Et même si certains songèrent à cette possibilité, aucun n'en fit mention, c'eût été trop humiliant.
Les premiers chevaliers qui allèrent "au dragon" furent ceux dont la dame ou la fille était restée trop longtemps absente du logis. Ils se rendirent compte par eux-mêmes, et revinrent ensuite vers leurs pairs avec les récits habituels et fantaisistes : un monstre particulièrement effrayant et lubrique enlevait les jeunes filles, les violait puis souvent les dévorait.
Bien sûr, le dragon ne dévorait personne. En réalité, ce fût souvent les maris ou les pères, trop humiliés de voir leurs femmes ou leurs filles consentantes et heureuses, qui les tuèrent dans un accès de rage incontrôlée qu'ils imputaient ensuite sans difficulté au monstre sanguinaire.
Ainsi, la réputation du dragon grandissait sans cesse chez les femmes et chez les hommes. Pas pour les mêmes raisons, mais c'en était définitivement fini de sa tranquilité.
Alors l'Eglise invoqua Saint Michel et Saint Gabriel. Dieu lui même exigeait la mort du monstre, le pape l'avait affirmé. De nouveaux chevaliers montèrent "au dragon", mais cette fois pour le tuer. Pour l'exterminer.
Nombre d'entre eux ne faisaient cependant que séjourner dans les bois autour de la tanière du dragon et revenaient chez eux avec quelques blessures feintes, se contentant par leurs récits d'une gloriole passagère qui ne faisaient que renforcer la réputation terrifiante du dragon.
Mais bientôt arrivèrent les héros avides de gloire, les amants véritablement humiliés et fous de rage et aussi tous les aventuriers cupides, sans autre objectif que les récompenses promises par l'Eglise pour l'éradication du démon.
Le dragon fût alors bien obligé de combattre. Pas par plaisir mais simplement pour préserver sa vie. Il n'avait pas l'impression d'avoir fait du mal, mis à part ces quelques humains et autres animaux qu'il avait occis dans sa jeunesse, alors il ne comprenait pas pourquoi subitement l'humanité lançait sur lui ces guerriers métalliques hérissés de piques.
Le dragon n'aimait peut-être pas tuer mais il savait le faire. Et il le faisait bien. Sa peau faite d'écailles imbriquées résistait aux lances et aux épées, seul son ventre pouvait être transpercé. Encore fallait-il pouvoir s'en approcher suffisamment. Car ses griffes acérées au bout de ses pattes musculeuses étaient véritablement redoutables. Et je ne parle pas de sa mâchoire qui vous arrachait une jambe avec le sourire. Mais sa queue puissante qui balayait en sifflant hommes et chevaux à l'improviste restait son arme favorite et imparable.
Il commença par blesser ces hommes venus le détruire, mais devant l'acharnement de certains, il fût obligé d'en tuer. Et parfois même leurs chevaux faisaient partie des victimes. Il n'aimait pas ça.
Et plus il en tuait, plus il en venait, car sa renommée grossissait parmi un monde guerrier qui n'admirait que la force et rêvait uniquement de gloire destructrice et de victoire sanglante.
Le dragon devait rester constamment aux aguets, il ne dormait plus. Cette situation lui pesait et il n'aimait pas se battre... il n'avait plus le coeur à rendre service aux donzelles ni à papoter. Si les chevaliers ne le tuaient pas, le dragon finirait par dépérir d'usure et de lassitude.
[A suivre...]
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