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Rencontre avec Sandrine Kiberlain
En révélant un talent insoupçonné pour la comédie, elle que l’on croyait destinée aux drames auteuristes et aux thrillers, Sandrine Kiberlain est devenue en quelques années une des actrices préférées des Français.Une de celles que l’on croise le plus souvent à l’écran ou dans les festivals.Habituée de Cannes, où elle a déjà été membre du jury et présidente de la Caméra d’or, c’est à Deauville qu’elle nous reçoit, ménageant à notre intention un créneau dans son agenda surchargé de présidente du jury du 44e Festival du cinéma américain. Toujours pimpante, vive, naturelle et drôle…

Cela fait quel effet de se retrouver présidente de jury d’un grand festival comme celui de Deauville?
C’est spécial pour moi ici, car j’y ai plein de souvenirs d’enfance.Ma vocation d’actrice et mon goût pour le cinéma américain y sont peut-être nés.Petite je fantasmais sur Shirley McLaine et Barbra Streisand.Plus tard, sur Merryl Streep… J’aimerais bien que mes grands-parents soient là, parce que ça les ferait sourire, je pense de me voir présidente…

Vous souvenez-vous comment est née votre vocation?
C’est très flou.Mes parents me disent que, toute petite, j’avais envie de jouer tout le temps, d’incarner des personnages.Mon père me filmait d’ailleurs… Mes parents qui sont tous les deux amateurs d’art, se sont connus en faisant du théâtre amateur. Ils étaient fous de Poiret & Serrault. Ils m’ont emmenée très tôt voir des films. On était une famille de vrais cinéphiles. À la fin, j’avais plus envie de flirter avec ça qu’avec les additions et les soustractions, même si mon père était un expert-comptable.Tous les jours, il nous disait qu’il avait hâte de laisser en plan ses mathématiques pour écrire une pièce…

Qu’est-ce qui vous a fait oser vous lancer?
L’inconscience! (rires) C’est ça la vocation, en fait: lorsqu’on a terriblement envie de faire quelque chose, on se lance. Je ne pouvais pas vivre sans faire ça. Quitte à me planter, il fallait que j’essaye.

Cette inconscience vous pousse-t-elle parfois à accepter des rôles?
Je pense que c’est le métier qui veut ça.Il faut être un petit peu inconscient pour faire l’acteur. Parfois je me lance dans des films en sachant de quoi ça parle, ce que je dois jouer, mais sans m’être fait une idée précise de ce que ça implique en terme de jeu. «Ils couchent ensemble pendant des heures», c’est une ligne dans le scénario.Mais quand arrive le moment de tourner la scène, je me dis qu’elle m’avait échappée, celle-là. Et là, il faut y aller! (rires). Mais au fond, je sais bien que je l’ai accepté le film parce que j’aimais le rôle. J’ai juste laissé de côté inconsciemment ce qui me dérangeait…

Vos parents approuvaient votre choix de carrière?
Ils ne m’ont jamais bridée, ni jugée. Quand j’ai fait Les Patriotes, mes grands parents m’ont dit qu’ils avaient aimé le film. Ça m’avait bouleversée parce que je jouais une call-girl, et je savais ce que ça représentait pour eux de me voir dans ce rôle avec une jupe trop courte… Ils avaient compris ma démarche et savaient que mon envie de cinéma était profonde. Leur confiance m’a donné beaucoup de force.


Quel genre de films vous a amené au cinéma?
Le cinéma américain, justement. On m’a emmené voir Les Enchaînés d’Hitchcock à 12 ans. Ça met la barre très haut. Et puis j’ai vu tous les films d’Arthur Penn, de Sydney Pollack, de Woody Allen… C’est ce qui me faisait le plus vibrer. Et puis, j’ai eu un amoureux qui était fou de films américains. Avec lui, j’ai vu tous les Sergio Leone, les Coppola… Quand j’ai grandi, que j’étais plus autonome, je me suis aussi intéressée au cinéma français, les Truffaut ou les Resnais qui demandent plus de maturité…

Vous n’avez jamais envisagé une carrière américaine?
Non, sûrement parce que je suis très bien servie ici. J’ai eu, il y a des années, un projet avec Jennifer Jason Leigh qui est tombé à l’eau. Et vous voyez, ça n’a pas été une grande souffrance. Je n’ai rien fait pour passer la frontière et je dirais même que maintenant, mon anglais étant assez médiocre, je prie pour que ça ne se fasse pas. J’admire celles qui le font, mais je pense que ça demande un gros travail et aussi une grosse ambition.Que je n’ai pas!

Comment juge-t-on les films dans un jury de festival?
J’estime qu’on n’a pas à juger un film. On le voit. J’essaie de toujours rester spectatrice. Je ne veux rien savoir du film avant. Plus j’en sais, plus je risque d’être déçue, ou conditionnée. J’essaie de rester le plus vierge possible par rapport à l’œuvre. Je m’assois et je me laisse porter. Parfois ça part.D’autres fois, non…

Vos prochains rôles?
J’ai terminé deux films qui sortent bientôt. Pupille de Jeanne Henry et Mon bébé de Lia Azuelos. Pupille est un film choral qui parle des coulisses de l’adoption. Je joue une femme qui s’occupe de ce qui se passe entre la naissance d’un enfant né sous X et son adoption. C’est un film qui devrait faire parler de lui. Comme dit Gilles Lellouche: «On sera content de payer nos impôts après avoir vu le film» Mon bébé, c’est une espèce de suite de LOL.Quand la petite dernière quitte la maison…

Vous vous êtes sentie concernée?
Inévitablement.Ma fille passait son bac quand on tournait les scènes où la jeune fille du film le passe. C’est curieux mais très souvent on s’aperçoit les films qu’on accepte, ou qu’on nous propose, coïncident avec un moment de notre vie. Je ne sais pas si c’est nous qui les acceptons parce que ça touche à notre quotidien, ou si l’on vient vers nous pour ce qu’on dégage à ce moment-là…En tout cas, c’est assez troublant.

De toutes vos récompenses, laquelle vous est la plus chère?
Le premier César: celui de l’Espoir.Pour moi, c’est le plus beau. C’est une espèce de regard que le métier pose sur vous et on se dit: «Ça y est, je suis acceptée.» En avoir un autre, vingt ans plus tard, ça enfonce le clou. D’abord, ça veut dire qu’on est encore là, et le bilan est très émouvant. Mais ce n’est pas le César qui change les choses en terme de carrière. C’est le succès.Quand les gens vous suivent, il y a forcément une crédibilité qui s’affirme…

Comment jugez-vous votre parcours?
Je me retourne peu sur le passé. Quand on tournait La Belle et la belle, où mon personnage est confronté à sa jeunesse, je me suis aperçue que cela me faisait plus gamberger sur le temps qui reste que sur celui qui passe.Qu’est ce qu’on va faire pour l’utiliser au mieux et faire plus pour les gens qu’on aime?C’est ça la vraie question.

Pierre Salvadori dit de vous que vous êtes la seule actrice qu’on voit rougir à l’écran.Quel est votre secret?
Mais, il y en a d’autres! Isabelle Huppert rougit très bien au cinéma. D’ailleurs, en jouant ensemble, on s’est aperçues qu’on rougissait presqu’autant l’une que l’autre. Sur mon carnet scolaire, les profs écrivaient: «Trop émotive». Chaque fois que j’avais une émotion forte, j’avais tout le cou qui devenait rouge écarlate. Mes parents m’ont même emmenée voir un médecin.Ma mère voulait que j’entende que ce n’était pas grave. Il avait dit: «En prenant de la bouteille, ça passera…» Et bien le fait est que… ça ne passe pas! Et c’est un peu emmerdant parce que dans la vie, je ne peux pas tricher (rires).

À quand un prochain disque?
On en parle avec Alain Souchon.Mais je me vis tellement peu chanteuse et tellement plus actrice, que j’ai du mal à y penser sérieusement.