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LA PALMA Canyon des angoisses
Dans la Caldéra qui s'appelle Tabouriente (sur l'île de La Palma), il y a un chemin qui se faufile dans le lit d'une rivière qui devient torrent quand le ciel se met à pleurer sur les hauteurs. D'immenses parois de roches et de pierres détachées lors d'une crue sévère encadre le chemin de petite randonnée.
Le soir tombait car je m'y étais pris un peu tard pour marcher et mon allure n'était pas celle d'un sportif jeune, enthousiaste, allègre et sautillant. Le poids de l'âge et le manque d'exercice me faisaient cruellement un rappel à l'ordre. Cette vallée ou plutôt ce canyon, ( barranco qui veut dire : gorges ) devenait de plus en plus lugubre car des nuages se mirent à lécher les sommets puis entreprirent de se laisser aller le long des pentes raides. Le soleil ne brillait plus, si bien que je m'assis pour prendre une décision qui devenait inéluctable. . Dans ces conditions était-il bien raisonnable de continuer dans le sens de la montée même si le but paraissait à portée de main ou tout du moins au bout du pied?
Ce sont des dépliants à l'auberge où je suis descendu, qui m'ont donné l'envie d'aller voir tout au fond de cette caldéra une cascade qui est une véritable merveille de beauté et de couleurs.. La Cascade des Couleurs! (Cascada de los Colores) Un nom tellement attrayant et des images si riches et spectaculaires qu'il fallait la voir de mes propres yeux. Là était le but de cette ascension.
Après trois heures de marche les Couleurs ne m'étaient toujours pas apparues. Ce ne sont pas les divers touristes (eux descendaient après l'avoir vue certainement), qui m'ont aidé à presser le pas. En effet j'avais l'impression de faire du sur-place car à chaque fois que je demandais si c'était encore loin, les distances et le temps qu'il me restait à parcourir variait peu!
Je m'assis sur un rocher et regardant la sombre vallée je me suis dit qu'elle commençait à bien porter son nom : El Barranco de Las Angoustias ! (Les Gorges des Angoisses ). Il y avait certainement une raison à cette dénomination mais mon point de réflexion n'en faisait pas un sujet pressant.
Monter ou descendre? J'interrogeais mon instinct.. qui me susurra fermement et prestement de faire demi-tour et de laisser la palette de couleurs pour une autre fois.. J'obéis.
Le soir devenait de plus en plus pesant et la nuit trainait avec elle une ambiance malodorante. Je ne faisais donc pas cas de la violence donnée à mes chevilles dans ma hâtive ré-descente. Le sentier de randonnée avait été tracé dans le lit du torrent sauf à certains endroits qui, pour éviter de se trouver indéniablement les pieds dans l'eau jusqu'aux genoux on avait tracé des chemins contournant ces difficultés de terrain,. Après tout, ce GR devait être accessible à tous ou presque. Ces dérivations étaient très utiles quand d'immenses pierres barraient le passage au creux du lit de la rivière.. Il devenait presque impossible d'escalader ces immenses rochers polis pas les crues successives.
Tous les touristes étaient descendus .... la prudence des marcheurs expérimentés. il ne restait plus que moi dans cette vallée des angoisses ! Et s'il m'arrivait quelque chose ? Je n'avais aucun moyen de communication hormis le son puissant de ma voix qui n'aurait certainement eu aucun effet puisque au moment des ces réflexions ils avaient tous regagné leur voiture. L'étau de la terreur se resserrait.. C'est alors que j'entrepris d'escalader deux ou trois rochers qui se trouvaient sur mon passage en plein milieu du lit de la rivière.

Pris par mes pensées j'avais oublié de prendre un de ces chemins de contournement. Je m'en rendis compte lorsque j'avais surmonté la moitié d'entre eux . Ceux-ci étaient glissants et avec très peu d'accroches..Une marche arrière ne me paraissait pas indispensable car de visu j'en voyais le bout. De toutes façons le retour sur ces rochers abrupts et glissants me paraissait plus dangereux que de continuer, jusqu'au moment où ce fut l'inverse! J'étais coincé . et ce n'est certainement pas le souvenir d'un film : "127 HEURES" qui allait me redonner le moral.. ou l'espoir.
J'ai donc demandé une seconde fois à mon instinct de me guider pour me sortir de cette angoissante impasse. Il me suggéra tout d'abord de me libérer de mon lourd sac à dos puis si nécessaire d'enlever mes chaussures pour que mes pieds adhérent plus facilement à la paroi glissante.. Je m'exécutais sans réfléchir d'avantage je me défis de mon sac à dos que je jetais plus haut. A la dernière minute mon instinct me dit que je n'aurais pas à me déchausser. Je calais mon pied droit dans la faille d'une roche et poussais fortement pour soulever mon corps devenu beaucoup plus léger. La manœuvre n'était pas sans risques : au cas où la tentative échoue je risquais de retomber là ou j'étais avec une perte d'équilibre qui m'aurait été fatale. Ces immenses rochers faisaient plusieurs mètres de haut et surplombaient des sortes de marmites où s'écoulait jadis le torrent tumultueux en faisant des tourbillons abrasifs.

Une fois de plus j'avais fait confiance à mon instinct, cela me permit de sortir d'une situation qui aurait très vite pu devenir dangereuse et sans la possibilité d'aucuns secours....
Quand je regagnais le parking où m'attendait ma voiture je me retournais : dans les ténèbres qui s'avançaient le vol d'un corbeau cisailla la brume.

Vécu avant hier dans LES GORGES des ANGOISSES à La Palma (Canaries)
F. G. B.