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Les Eternels
En quelques films (24City, Still Life, A Touch of Sin, Au-delà des montagnes), le chinois Jia Zhang-ke a établi un standard de films dont il ne se départ pas: une construction en trois parties, des ellipses de plusieurs années, un fond sociétal (la Chine en mutation), des changements de format, des plans qui s’étirent, un tube occidental un peu ringard en B.O (ici «YMCA» des Village People pour remplacer «Go West» des Pet Shop Boys dans le précédent) et, bien sûr, l’actrice Zhao Tao comme muse.Le tout sur une durée moyenne de plus deux heures. Les Éternels (Ash is Purest White en anglais) y restent parfaitement fidèles. On suit donc, sur une quinzaine d’années, le destin contrarié de Qiao (Zhao Tao), une jeune chinoise d’origine modeste, amoureuse de Bin (Liao Fan), un séduisant caïd local. Lorsqu’il est attaqué dans la rue par une bande rivale (belle chorégraphie de combat), Qiao vole à son secours et tire plusieurs coups de feu.Ce qui lui vaut d’écoper, à la place de son amant, d’une peine de cinq ans de prison qu’elle purge sans qu’il daigne venir la voir. À sa sortie (début de la deuxième partie), Qiao tente de renouer avec l’homme qu’elle aime, mais il a refait sa vie avec une autre (longue scène d’explication Antonionienne dans une chambre d’hôtel). Tentée, elle aussi par une autre vie, à la faveur d’une rencontre dans un train, Qiao y renoncera finalement pour rester fidèle aux valeurs de la pègre dans laquelle elle a baigné durant sa jeunesse. De retour dans sa région d’origine, elle finira par tenir une maison de jeux et par recueillir Bin, handicapé à la suite d’une hémorragie cérébrale.
Longue réflexion métaphorique sur l’amour, le temps qui passe, la difficulté de s’extraire de son milieu et la résistance aux changements, Les Éternels ressemblent à un mash-up de A Touch of Sin et d’Au-delà des montagnes.On y retrouve les mêmes motifs, les mêmes lieux et quelques personnages récurrents (l’homme à la moto), dans une forme plus relâchée, un peu terne et monocorde, qui dénote par rapport à l’intention initiale affirmée par Qiao: «Tout ce qui brûle se purifie».En cela, c’est une petite déception. Mais le film est tout de même sauvé, in fine, par le superbe portrait de femme qu’il brosse et, surtout, par l’incarnation qu’en donne Zhao Tao, véritable Meryl Streep asiatique et, conséquemment, nouvelle favorite pour le prix d’interprétation féminine.