» Jean Coq et Jean Mouton sont patriotes. Vous pensez l’être aussi et vous vous sentez attaché à votre pays par les forces invincibles et douces du sentiment et de la raison. Mais c’est une erreur, et si vous souhaitez de vivre en paix avec l’univers, vous êtes un complice de l’étranger. Jean Coq et Jean Mouton vous le prouveront bien en vous assommant à coups de matraque, au cri de guerre : « La France aux Français ! » Et ce sera bien fait pour vous. « La France aux Français », c’est la devise de Jean Coq et de Jean Mouton ; et comme évidemment ces trois mots rendent un compte exact de la situation d’un grand peuple au milieu des autres peuples, expriment les conditions nécessaires de sa vie, la loi universelle de l’échange, le commerce des idées et des produits, comme enfin ils renferment une philosophie profonde et une large doctrine économique, Jean Coq et Jean Mouton, pour assurer la France aux Français, avaient résolu de la fermer aux étrangers, étendant ainsi, par un coup de génie, aux personnes humaines le système que M. Méline (1) n’avait appliqué qu’aux produits que l’agriculture et de l’industrie, pour le plus grand profit d’un petit nombre de propriétaires fonciers. Et cette pensée, que conçut Jean Coq, d’interdire le sol national aux hommes des nations étrangères s’imposa par sa beauté farouche à l’admiration d’une assez grande foule de menus bourgeois et de limonadiers.
» Jean Coq et Jean Mouton n’ont point de méchanceté. C’est avec innocence qu’ils sont les ennemis du genre humain. Jean Coq a plus d’ardeur, Jean Mouton plus de mélancolie ; mais ils sont simples tous deux, et ils croient ce que dit leur journal.
» Jean Coq et Jean Mouton n’ont point de méchanceté. C’est avec innocence qu’ils sont les ennemis du genre humain. Jean Coq a plus d’ardeur, Jean Mouton plus de mélancolie ; mais ils sont simples tous deux, et ils croient ce que dit leur journal.
Anatole France, M. Bergeret à Paris (1901)
(1) Jules Méline, homme politique de la droite « modérée », ministre de l’agriculture entre 1883 et 1886. Sa politique introduit des mesures protectionnistes.
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