Loading
L’invention d’une esthétique (Anne Biroleau )

Toutes ses images attestent d’une connaissance précise des lieux, d’une relation de proximité avec les êtres.

La force de conviction de ses images trouve sa source dans leur puissance plastique. La recherche esthétique, par le souci d’équilibre et de composition qu’elle manifeste, assure une forme supérieure de lisibilité. Loin d’être un obstacle à la compréhension et à la hiérarchisation de ce foisonnement de signes qu'offre la réalité, elle permet une mise à distance, un évitement de l’émotion immédiate, de la sentimentalité si souvent pointée comme un défaut constitutif de la photographie de filiation humaniste. Ce n’est pas une effusion pathétique que suscite ici l’image, mais une méditation qui différencie la représentation et le réel dont elle est issue.

une observation lucide
L’image chez Salgado n’est pas dérobée par un voyeur/voyageur pressé ; elle résulte de la prise de position lucide d’un observateur. La situation du spectateur s’en trouve notablement modifiée, et la relation qui s’établit entre lui et ce réel représenté relève alors d’une véritable maîtrise, d’une authenticité du regard. Le contenu émotionnel n’est pas évacué, mais différé. Le photographe donne à penser avant tout sa propre présence au sein du milieu où il s’est immergé. À l’instar d’une démarche scientifique, l’observateur est partie prenante de l’expérience, en maîtrise les dérives possibles. Lorsqu’il choisit de traiter un sujet, de construire un reportage, Salgado établit un programme fonctionnant sur le long terme, s’immerge au sein de situations complexes, qu’un reportage borné à la surface de l’événement ne saurait épuiser ni même entamer. Toutes ses images attestent d’une connaissance précise des lieux, d’une relation de proximité avec les êtres.

Source :Grandes fatigues de la terre /Anne Biroleau