France-Culture - lundi 22 mai 2006 le regard d'Albert Jacquard
Les événements de mars-avril 2006 dans les universités ont provoqué, amis auditeurs, une telle incompréhension de la part des commentateurs qu'une référence historique a été immédiatement recherchée. Naturellement c'est mai 68 qui a constitué le repère, un repère que l'on ne peut omettre. Il se trouve que j'ai vécu ces deux épisodes - ceux de 2006, ceux de 68 - en restant en marge. En effet, en 68 j'étais déjà trop âgé pour me mêler aux cortèges d'étudiants, et mes fils étaient encore trop jeunes, je n'ai donc pas eu de contact personnel, réel, avec les cris, avec les banderoles, avec les défilés. Le seul instant où je me suis senti personnellement affecté, concerné, fut lorsque j'ai vu un des platanes du Bd Saint-Michel abattu. Sans doute quelques manifestants avaient cru bon d'ébaucher une barricade à cet endroit-là, mais j'étais contre la destruction d'un arbre, qui est tellement plus long à remplacer qu'une vitrine brisée. Autant que mes souvenirs soient fidèles, il me semble que la dimension poétique était plus développée en 68 que cette année, les slogans du type "sous les pavés, la plage", "il est interdit d'interdire", "soyez réalistes, demandez l'impossible", tous ces slogans s'étaient alors multipliés, il s'agissait pour les manifestants de hâter les changements, des changements qui permettraient de respirer plus largement. Il semblait à l'époque que le bonheur était presque à portée de la main, alors pourquoi attendre ? l'arc-en-ciel était à l'horizon, il fallait écarter les nuages qui empêchaient de le voir. L'espoir était évident et la bonne humeur en 68 était communicative. Cette année les revendications ont été formulées de façon beaucoup plus âpre, les ressorts des événements, les ressorts de l'action sont apparus plus dramatiques. En 68 on voulait précipiter l'avènement d'une société qui ne pouvait être que meilleure : "bien sûr demain sera meilleur qu'aujourd'hui, mais on en a marre d'attendre", c'était cela le ressort en 68. En 2006 au contraire les données sont tout autres : la société de demain, la société que le pouvoir nous dit nécessaire, inévitable, elle ne peut être que pire, elle ne peut être qu'une lutte permanente où il faudra piétiner les copains pour survivre. Face à cette perspective, la réaction n'est pas d'aller plus vite, mais de changer de direction, c'est cela qu'ils ont voulu dire, les manifestants de 2006. En ce sens l'attitude actuelle des jeunes est finalement beaucoup plus révolutionnaire qu'il y a 40 ans : ils veulent remettre en cause non seulement les cartes qui ont été distribuées, mais la règle du jeu elle-même. Sans doute les forces du conformisme auront-elles raison de leur enthousiasme actuel, leur enthousiasme initial. Peut-être, lassés, accepteront-ils de ne devenir que les anciens combattants d'avril 2006. Tout rentrera alors dans ce qu'on appelle "l'ordre", mais ils auront fait advenir un peu plus tôt le jour où il faudra bien répondre autrement qu'aujourd'hui à la question "comment vivre ensemble ?".
France-Culture, lundo la 22an de Majo 2006
la rigardo de Alberto Jxakaro
La eventoj de Marto-Aprilo 2006 en la universitatoj estigis, amikoj aùskultantoj, tian malkomprenon fare de la komentantoj, ke historia referenco estis tuj sercxata. Nature estis Majo 68 kiu konsistigis la referencon, referencon kiun oni ne povas preterlasi. Okazis, ke mi travivis tiujn du epizodojn – tiun de 2006, tiun de 68 – restante margxene. Fakte, dum 68 mi estis jam tro agxa por miksigxi en la studentoprocesiojn, kaj mia filoj estis ankoraù tro junaj, do mi ne havis personan, efektivan kontakton, kun la krioj, kun la flagrubandoj, kun la defiladoj. La unua momento kiam mi sentis min persone kortusxita, koncernita, estis kiam mi vidis unu el la platanoj de bulvardo Sankta-Mikaelo faligitan. Probable kelkaj manifestaciantoj kredis bone ekkonstrui barikadon en tiu loko, sed mi kontraùis la detruon de arbo, kies anstatauxigo postulas multe pli da tempo ol montrofenestro frakasita. Se miaj rememoroj estas fidelaj, sxajnas al mi, ke la poezia dimensio estis pli disvolvita dum 68 ol cxi jare, la sloganoj kiaj "sub la pavimo, la strando", " estas malpermese malpermesi", "estu realisma, petu la neeblon", cxiuj tiuj sloganoj estis tiam multaj, por la manifestaciantoj temis pri rapidigo de la sxangxoj, sxangxoj kiuj permesus pli largxe spiri. Sxajnis dum tiu epoko, ke la felicxo estis preskaù tusxproksima, tial kial atendi ? La cxielarko estis cxe la horizonto, necesis dissxovi la nubojn, kiuj malebligis vidi gxin. La espero estis evidenta kaj la bonhumoro dum 68 estis komunikebla. Cxi jare la depostuloj estis vortigitaj multe pli akre, la instigiloj de la eventoj, la instigiloj de la agado aperis pli dramaj. Dum 68, oni volis hastigi la naskigxon de socio kiu povis nur esti pli bona : "kompreneble morgaù estos pli bona ol hodiaù, sed ni malpaciencigxas atendante", tio estis la instigilo dum 68. Dum 2006 male la donitajxoj estas tute aliaj : la morgaùa socio, la socion kiun la povo diras al ni necesa, neevitebla, povas nur esti pli malbona, gxi povas esti nur konstanta lukto kie necesos treti kompanojn por pluvivi. Fronte al tiu perspektivo, la reago ne estas pli rapidi, sed sxangxi la direkton, tion ili volis diri, la manifestaciantoj de 2006. En tiu senco la sinteno de la junuloj estas fine multe pli revolucia ol antaù 40 jaroj : ili volas dubigi ne nur pri la kartoj kiuj estis disdonitaj, sed pri la ludoregulo mem. Probable la konformismaj fortoj venkos ilian aktualan entuziasmon, ilian ekentuziasmon. Eble, lacaj, ili akceptos igxi nur la eksbatalintoj de Aprilo 2006. Cxio reiros tiam en kion oni nomas la "ordo", sed ili estos okazigintaj iom pli frue la tagon kiam ja necesos respondi alie ol hodiaù pri la demando "kiel vivi kune ?".
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