Youki, sortait du lot. Elle aussi, avait des origines diverses. Pourtant, contrairement à ses congénères, elle avait de l'allure. Elle était étonnement bien proportionnée. Un bel animal. Et visiblement, malgré son jeune âge, elle régnait sur la meute en femelle dominante. Une femelle Alpha.
Dès notre arrivée, avant même d'avoir pris possession de nos bungalows, la petite chienne sollicitait notre attention. Mieux, elle s’imposait. Se postant devant nous, dressée sur ses pattes arrières, le dos cambré, les pattes avant tendues comme des bambous, posées sur nos jambes.
Sa tête cherchait frénétiquement nos mains pour une séance de caresses. Son regard de braise pétillant d'intelligence se faisait suppliant. Comment résister ?! Mais dès que nous voulions mettre un terme à cette cérémonie de bienvenue, Youki, toujours dressée sur ses pattes arrières, agitait la patte avant droite comme pour dire : "Eh, les amis, encore quelques gratouilles". Il fallut bien dix minutes pour parvenir à nos chambres, suivis par la meute de chiens.
A peine installés, nous nous sommes empressés d'aller retrouver notre nouvelle copine.
Pendant notre trop bref séjour à Bang Saphang Yai, Youki attendait nos retours de balades devant la cour de la guest-house et accourait dès qu'elle nous reconnaissait sur nos scooters.
Si, fait rarissime, elle n'était pas là, il suffisait de siffler pour la voir sortir d'un buisson où elle avait trouvé refuge pour échapper aux fortes chaleurs en cette saison. Et c'était reparti pour une séance de caresses.
Elle dormait devant notre porte, mais refusait obstinément de rentrer dans la chambre, malgré nos invitation répétées.
Devant notre amicale insistance, l'échine courbée, les oreilles et la queue basses, elle se remémorait, sans doute, les coups de bâtons assénés par les propriétaires de l'hôtel, en guise d'apprentissage des préceptes de « bonnes conduites canines ».
Quand il fallu repartir quatre jours plus tard, ce fut un déchirement pour toute la famille. Nous avions le sentiment confus d'abandonner notre chien dans un pays lointain. Pendant les deux années qui ont suivies, Youki revenait régulièrement dans nos conversations. Un bon souvenir, mêlé d’amertume et de culpabilité.
Le retour
Quand en 2015, ma femme m'a proposé de retourner en Thaïlande. J'ai dit oui, sans hésitation, alors que moi, j'envisageais un nouveau voyage en Inde.
Mon épouse, reine de l'organisation et de la logistique, en exposant son projet, avait rapidement évoqué une étape à Bang Saphang Yai. Tant pis pour l'Inde, mais en Thaïlande, on pourrait peut-être retrouver Youki !?
Dans nos régulières évocations de la petite chienne, le regret de n'avoir rien fait pour la ramener en France, revenait sans cesse.
A défaut d'engager une telle démarche cette fois encore - conscient qu'une exfiltration, nécessiterait un voyage spécifique, en raison des difficultés administratives à surmonter -, ce voyage pourrait servir de repérage afin de mettre en place une stratégie. Encore fallait-il que Youki soit toujours là.
La première partie du voyage, s'est déroulée dans le Nord de l'ancien Royaume de Siam, avec une incursion de quelques jours au Laos. Sur les rives du mythique Mékong. Un fleuve dont la simple évocation est un appel au voyage, à la découverte et à l’aventure. Mêmes si la réalité est moins romanesque. Dans ces contrées, aujourd'hui, la véritable aventure consiste plutôt à dénicher une guest-house, ne disposant ni de l'air conditionné, ni de la wifi. Autant dire, mission impossible.
Bref, l'escapade nordiste arrivée à son terme, nous mettons le cap sur Bang Saphang Yai. Départ de Nong Kai, sympathique bourgade somnolente et frontalière avec le Laos. Douze heures de voyage dans le train frigorifique de nuit qui nous ramène à Bangkok. Arrivée à six heures du matin. Le temps de prendre un petit-déjeuner. Changement de quai… Et c'est reparti pour cinq heures de transport dans un tortillard de troisième classe aux ventilateurs poussifs. Quatre cents kilomètres plus au Sud, sur la côte Est, le train s'arrête enfin en gare de « Youkiland ».
A part nous, seul un couple anglo-saxon quinquagénaire, descend du train. Eux, prennent le seul taxi pour les emmener à 20 kilomètres de là. Nous, on va moins loin. Mais le « Nipan beach bungalows" se trouve tout de même à trois bons kilomètres de la gare. Pourtant ici, en guise de transport, il n'y a plus que des taxi-mobylettes. Pas même un bon vieux tuk-tuk rouillé. Nous, avec nos six sacs à dos pour trois, d'un poids total ressenti avoisinant les deux cents quarante kilos ; la mobylette, ce n'est pas la peine d'y penser. Même si ça n'a pas l'air de faire peur aux mobylettes-drivers qui ici, plus qu'ailleurs en ThaïIande, ne parlent pas un traitre mot d'anglais.
Sous un soleil de plomb, après un bon quart-d'heure d'incompréhension, le chef de gare qui était parti -sans qu'on y prête attention- après le départ du train, réapparaît soudain au volant d'une voiture. Il s'adresse à moi en thaï. Bien entendu, si lui ne parle pas l'anglais, il faut bien reconnaître qu'hormis pour dire bonjour, je ne suis pas plus brillant dans la pratique du thaï. Je mets un certain temps à comprendre qu'il a troqué sa casquette de cheminot pour se faire de taxi-driver. Le temps d'une course. En attendant le prochain train, prévu dans une douzaine d'heures.
Tassés dans la voiture et coincés entre nos sacs à dos, dont seuls les deux plus gros ont pu se loger dans le coffre, nous arrivons à la guest-house.
En deux ans, le lieux n'a pas changé. Les boiseries et peintures des bungalows sont juste un peu défraîchies.
A peine installé, je pars à la recherche de Youki dans les environ. Je constate avec inquiétude qu’il n’y a plus un seul chien dans la cour de l’établissement. Sauf le vieux teckel de la gérante.
Deux jours se passent et toujours pas de trace de Youki. Je me désespère.
Et puis, le troisième jour au retour d’une longue balade en scooter j’aperçois un chien qui pourrait correspondre à celui que je recherche. Il est allongé devant le portail d’une maison située à moins de 100 mètres de ma guest-house. J’arrête mon scooter et je siffle ! Le chien tourne instantanément la tête vers moi. Je l’appelle : « Youki ! », l’animal se dresse immédiatement sur ses pattes et traverse la route à toute allure pour me rejoindre. Deux ans se sont passés, mais la petite chienne m’a reconnu. Comme autrefois, elle se dresse sur ses pattes arrières et pose ses pattes avant sur mes jambes alors que je suis encore sur le scooter.
Elle tourne sur elle-même, elle jappe… Visiblement elle est heureuse de me retrouver. Moi aussi. J’en ai les larmes aux yeux. Je retire mon casque et je m’accroupis, elle me lèche le visage.
Je découvrirai plus tard qu’une vieille dame qui réside à proximité passe tous les soir pour nourrir les chiens des rues dont Youki fait partie.
J’ai la confirmation que Youki n’appartient à personne. Elle tente bien de se faire accepter par les touristes thaïs venus de Bangkok pour louer une maison l’espace d’un week-end. Mais la plupart du temps, elle «niche » dans un trou sous les fondations d’une cabane en bambou abandonnée à proximité de la plage.
J’ai voulu qu’elle vienne devant mon bungalow. Elle restait obstinément assise sur le bord de la route comme pour me faire comprendre qu’elle n’était pas la bienvenue habituellement.
Les deux jours qui s’en sont suivis je les ai passés avec Youki à nous balader sur la plage, à la défendre des attaques des autres chiens vagabonds qui voulaient lui voler les biscuits dont je la gavais. Elle était pourtant de taille à assurer sa propre sécurité, habituée à donner de la mâchoire et à esquiver les crocs de ses agresseurs. En revanche j’ai pu constater qu’elle avait peur de certains humains. Mais tant que j’étais là, elle n’avait rien à craindre de ces imbéciles.
Le jour du départ est arrivé. Je reprenais l’avion le lendemain. Un pick-up réservé la veille devait nous emmener à la gare pour prendre le train de 7h30 à destination de Bangkok.
A 4 heures j’étais debout pour dire au revoir à Youki. Je me demandais si elle serait à proximité ? Dès que j’ai ouvert la porte je l’ai aperçue qui s’éloignait. Elle avait dormi devant la porte. En entendant le bruit que je faisais dans le bungalow, elle s’éclipsait délicatement. Je l’ai appelée. Elle s’est arrêtée, s’est assises et m’a regardé. Je crois qu’elle avait compris que cet au-revoir serait un adieu.
12 comments
Annalia S. said:
There are times when I positively hate bureaucrats. And people who cannot understand that friendship can cross the species barrier as easy as a knife can go through butter. I am sure that leaving Youki behind was as hard for your family as leaving a human friend.
beapixa said:
sunlight said:
Typo93 said:
Elle aura eu une vie dure mais libre comme l'air. Quelqu'un d'autre a peut-être eu le coup de foudre et l'a adoptée... Elle le méritait.
J'ai une nièce qui travaille en Ethiopie depuis un an. Elle a adopté un chat (nous sommes très chats dans la famille) qu'elle compte bien ramener en France. Il parait que c'est faisable à condition qu'il soit vacciné.
Jean-luc Drouin replied to Typo93:
Pour en revenir à la Youki, comme elle était très intelligente et attachante elle aura effectivement pu trouver un foyer. On peut rêver. Mais je pense qu'aujourd'hui, elle est au "paradis des chiens". Et c'est peut-être mieux ainsi pour elle ?!
Annaig56 said:
Daniela Brocca said:
Jean-luc Drouin replied to Daniela Brocca:
Nautilus said:
Jean-luc Drouin replied to Nautilus:
Je commence à m'occuper activement des possibilités d'aménagements de mon futur Van. Le commercial de Renault m'a pourtant annoncé qu'il y aurait du retard dans la livraison en raison d'une pénurie de composants électroniques :-((((
Xata said:
Au Cœur... diagonalh… said: