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LA BELLE AU BOIS DORMANT (texte de 1997)





Lola connaît par cœur les heures subtiles de fatigue attendue, vieillie, qui s’entasse et laisse des traînées dans les yeux et sur les joues. Elle connaît ce goût différent dans la bouche, une tiédeur molle, un bâillement retenu depuis trop longtemps. Le corps veille à petits feux, clignote doucement. Elle a l’impression que tout ce sommeil en retard est irrémédiablement perdu, tant d’heures volées au repos, tant de luttes, l’ennemi combattu à coups de pilules, de poudre, de café, des habitudes si anciennes.

Il faut vivre avec ces vagues, cacher les cernes sous le maquillage, encore et toujours, porter ce masque de plus en plus lourd avec les années qui passent. Ce n’est pas tant les rides qui doivent être camouflées que l’épuisement qui creuse les traits aussi sûrement qu’un scalpel.

Ce qu’elle aime bien, c’est le flottement des pensées qui accompagne le vide physique. Tout passe dans sa tête, défilement de nuages incompréhensibles, aussi neutres que possible ni blancs ni gris. Elle a besoin de cet état pour bien travailler ce qui fait qu’au fond, elle ne cherche pas à se reposer, à s’arrêter même une minute.

S’arrêter, c’est voir.

Il ne fait pas vraiment froid ce soir mais cette pluie fine transperce jusqu’aux cellules et la poudre commence à être loin. Pas grand monde. Lola est encore plus fatiguée que d’habitude.

Un homme passe. Ils se mettent d’accord, traversent la rue, prennent la chambre.

Retour à la pluie. La fatigue est cruelle, elle se lit à froid jusqu’au fond des yeux, jusque dans la manière de tenir sa cigarette.

Un autre homme. Il a un sourire en passant devant elle et s’arrête quelques mètres plus loin pour discuter avec Julia, la grande rousse. Ils partent ensemble.

Il est tard, ou alors très tôt, la pluie a cessé.

Dormir, dormir. L’obsession entre en elle plus profondément qu’aucun homme ne pourra jamais le faire. Dormir cent heures, cent jours, cent ans. Dormir d’un sommeil libre, noir, total.

Personne. Personne ne veut plus de ce corps épuisé, au bord de la nausée, tendu à se rompre. Même le sommeil n’en veut plus.

Elle meurt d’un non-sommeil et cette idée lui est presque douce.

4 comments

Anna Mélia said:

Oui ce n'est pas toujours aussi triste cependant je pense. C'est sans doute curieux mais le sujet de ce texte c'est la fatigue, la situation les personnages importent moins que l'état quand j'e l'ai écrit, mais j'ai l'impression qu'il y a des siècles ! :-)
14 years ago ( translate )

Anna Mélia replied to :

oui c'est vrai et cela me plait beaucoup, j'aime et suis fière de nous"connaître" par le travail, l'émotion de ce qu'on offre tout cela depuis plusieurs années, tu te rends compte !
14 years ago ( translate )

Georges. said:

Le travail à la chaîne sur un corps veillissant.......................fatigue extrême.............oxydation........sommeil

D'autres...........plus simplement choisissent le repos éternel................!

Un beau texte.............une écriture coulée ...............j'ai bien aimé.
14 years ago ( translate )

Anna Mélia replied to Georges.:

Merci beaucoup Georges de ta lecture... on se demande oui ce qui fait qu'elle résiste à cette fatigue jusqu'au bout
14 years ago ( translate )