Il est sept heures, le village s'éveille..... Jade s'étire dans la potée où elle s'est lovée aux dépends des géraniums. Ici, on ne s'éveille pas au chant du coq mais aux clameurs des promeneurs matinaux qui rappellent leurs chiens, lors de la balade rituelle, avant de partir au travail. Du haut de son observatoire, Jade les excite du regard et surtout de sa présence inaccessible. Il y a d'abord Rufus, un braque de Weimar, beau comme un Dieu, pour qui elle a un faible certain bien qu'il soit précédé d'une réputation sulfureuse de chasseur de matous. Ensuite, Frida, la bien nommée, une bergère allemande d'un an qui ne pense qu'au jeu. Puis Idéfix et Obélix, deux puissants boxers qui promènent leur maître plus qu'il ne les promène, Dédé et Bébel pour les intimes. Enfin Chouchou, un caniche royal au brushing impeccable, toujours livré par son coiffeur avec deux noeuds bleus sur les oreilles et même parfois avec du vernis à ongles...Il ne touche pas terre et sa démarche aérienne fait penser à Nijinsky dans l'Invitation à la valse ….Le Bolchoï dans la gâtine profonde...Il ne fraie pas avec la populace...
Du haut d'un des piliers de la grille, Jade ne rate jamais le défilé, c'est tous les jours le 14 Juillet, cuivres et timbales....D'ailleurs on entend déjà les trompettes du premier régiment.... « Ce roi barbu, qui s'avance, bu....C'est Agamemnon, Aga, Aga »
Tiens, Rufus est en retard. Voilà au loin le Marchais Corpreau qui se précipite...Dédé et Bébel s'arcqueboutent sur la laisse, impatients de river son clou à la pétasse du 141. De fait, Ben-Hur a bien du mal à retenir son attelage et s'il ne peut arrêter son char, il va grimper au portail...Frida, alertée par le clairon, fonce, coudes au corps, peut-être va-t-elle enfin décrocher la queue de Mickey....Ah ! Voilà enfin la Planche aux Joncs... Rufus !...Il a sur la scène le regard de Napoléon à Austerlitz. « Pas de quartier ! Faîtes-en de la chair à pâtée !«
D'habitude, le portail reste impassible, mais là, le pène mal enclenché cède sous la poussée du petit caporal. En un clin d'oeil, le catalpa se garnit de six ou sept grosses mésanges à moustaches et à longue queue. Debout contre le tronc, Rufus a en vue l' arrière train de Scott. Depuis le temps qu'il rêve de lui tailler un short au rouquin...Mais pour l'instant il ne peut que ronger l'écorce.et exhiber un dentier qui fait la pige à Yamaha pour la blancheur du clavier.
Bambi, dont le poids interdit l'escalade du catalpa, surtout par la face nord, s'est replié sous la voiture avec ses deux nourrissonnes. Frida en profite pour visiter le jardin, elle aimerait bien jouer au chat avec Jade, mais celle-ci ne veut pas descendre...
Rufus tente une manoeuvre de diversion, il a flairé un morceau de choix sous la voiture. Faute de grives, on mange des merles, voyons si on peut déloger le gros plein de soupe... Il se penche, c'est alors que Bambi lui souffle dans les gencives une de ces phrases qui divisent la France en deux : « Casse-toi, pauvre c... »L'effet de surprise est total , Ondine en profite pour lui planter dans la truffe cinq petites griffes bien affilées. M.... ! Waterloo !
Retraite honteuse sous l'oeil médusé de Chouchou dans son trois pièces immaculé, qui arrive enfin comme la Croix Rouge sur le champ de bataille. Quelle époque ! Triste reflet d'un monde sans éducation !

On récupère les belligérants qu'on remet en laisse, le catalpa se dépouille lentement de ses hôtes inattendus. Le beau Pompon descend en dernier...Ses belles taches brunes luisent sur son poil blanc....Ah! Il l'a bien mérité, le maillot du meilleur grimpeur....!