Chacun de nous a sa blessure : j'ai la mienne.
Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
0ù l'on peut voir encore des larmes et du sang !
Sa lettre !... N'aviez-vous pas dit qu'un jour, peut-être,
Vous me la feriez lire ?
Ah ! vous voulez ?... Sa lettre ?
Oui... Je veux... Aujourd'hui...
Tenez !
Je peux ouvrir ?
Ouvrez... lisez !...
Roxane, adieu, je vais mourir !...
Tout haut ?
C'est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée
J'ai l'âme lourde encore d'amour inexprimé,
Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés,
Mes regards dont c'était...
Comme vous la lisez,
Sa lettre !
dont c'était les frémissantes fêtes,
Ne baiseront au vol les gestes que vous faites;
J'en revois un petit qui vous est familier
Pour toucher votre front, et je voudrais crier...
Comme vous la lisez, — cette lettre !
Et je crie
Adieu !...
Vous la lisez...
Ma chère, ma chérie
Mon trésor.
D'une voix...
Mon amour !...
D'une voix...
Mais... que je n'entends pas pour la premiere fois !
Mon cœur ne vous quitta jamais une seconde,
Et je suis et serai jusque dans l'autre monde
Celui qui vous aima sans mesure, celui...
Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit.
Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle
D'être le vieil ami qui vient pour être drôle
Roxane !
C'était vous.
Non, non, Roxane, non !
J'aurais du deviner quand il disait mon nom
Non ! ce n'était pas moi !
C'était vous
Je vous jure...
J'aperçois toute la généreuse imposture :
Les lettres, c'était vous...
Non !
Les mots chers et fous,
C'était vous...
Non !
La voix dans la nuit, c'était vous
Je vous jure que non !
L'âme, c'était la vôtre
Je ne vous aimais pas.
Vous m'aimiez !
C'était l'autre
Vous m'aimiez !
Non !
Déjà vous le dites plus bas
Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !
Ah ! que de choses qui sont mortes... qui sont nées
- Pourquoi vous être tu pendant quatorze années,
Puisque sur cette lettre où, lui, n'était pour rien,
Ces pleurs étaient de vous ?
Ce sang était le sien.
Alors pourquoi laisser ce sublime silence
Se briser aujourd'hui ?
Pourquoi ?...
Quelle imprudence!
Ah ! j'en étais bien sûr! il est là !
Tiens, parbleu !
Il s'est tué, Madame, en se levant !
Grand Dieu !
Mais tout à l'heure alors... cette faiblesse ?... cette ?...
C'est vrai ! je n'avais pas terminé ma gazette
... Et samedi, vingt-six, une heure avant dîné
Monsieur de Bergerac est mort assassiné
Que dit-il ? — Cyrano ! — Sa tête enveloppée
Ah ! que vous a-t-on fait ? Pourquoi ?
, D'un coup d'épée,
Frappé par un héros, tomber la points au cœur !'...
— Oui, je disais cela !... Le destin est railleur !...
Et voila que je suis tué dans une embûche,
Par-derrière, par un laquais, d'un coup de bûche
C'est très bien. J'aurai tout manqué, même ma mort.
Ah ! Monsieur !...
Ragueneau, ne pleure pas si fort !...
Qu'est-ce que tu deviens, maintenant, mon confrère ?
Je suis moucheur de... de... chandelles, chez Molière.
Molière !
Mais je veux le quitter, dès demain ;
Oui, je suis indigné !... Hier, on jouait Scapin,
Et j'ai vu qu'il vous a pris une scène !
Entière !
Oui, Monsieur, le fameux 'Que diable allait-il faire ?...'
Molière te l'a pris !
Chut ! chut ! Il a bien fait !...
La scène, n'est-ce pas, produit beaucoup d'effet ?
Ah ! Monsieur, on riait ! on riait !
Oui, ma vie
Ce fut d'être celui qui souffle, — et qu'on oublie
Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
Sous le balcon ? Eh bien ! toute ma vie est là :
Pendant que je restais en bas, dans l'ombre noire,
D'autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C'est justice, et j'approuve au seuil de mon tombeau
Molière a du génie et Christian était beau !
Qu'elles aillent prier puisque leur cloche sonne
Non ! non ! n'allez chercher personne:
Quand vous reviendriez, je ne serais plus là
Il me manquait un peu d'harmonie... en voilà
Je vous aime, vivez !
Non ! car c'est dans le conte
Que lorsqu'on dit : Je t'aime ! au prince plein de honte,
Il sent sa laideur fondre a ces mots de soleil...
Mais tu t'apercevrais que je reste pareil.
J'ai fait votre malheur ! moi ! moi !
Vous ?... au contraire
J'ignorais la douceur féminine. Ma mère
Ne m'a pas trouve beau. Je n'ai pas eu de sœur.
Plus tard, j'ai redoute l'amante à l'œil moqueur.
Je vous dois d'avoir eu, tout au moins, une amie.
Grâce à vous une robe a passé dans ma vie.
Ton autre amie est là, qui vient te voir !
Je vois.
Je n'aimais qu'un seul être et je le perds deux fois
La Bret, je vais monter dans la lune opaline,
Sans qu'il faille inventer, aujourd'hui, de machine...
Que dites-vous ?
Mais oui c'est là, je vous le dis,
Que l'on va m'envoyer faire mon paradis.
Plus d'une âme que j'aime y doit être exilée,
Et je retrouverai Socrate et Galilée !
Non ! non ! C'est trop stupide à la fin, et c'est trop
Injuste ! Un tel poète! Un cœur si grand, si haut !
Mourir ainsi !... Mourir !...
Voila Le Bret qui grogne !
Mon cher ami...
Ce sont les cadets de Gascogne...
- La masse è1èmentaire... Eh oui !... voilà le hic...
Sa science... dans son délire !
Copernic
A dit...
Oh!
Mais aussi que diable allait-il faire,
Mais que diable allait-il faire en cette galère ?...
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Grand riposteur du tac au tac,
Amant aussi - pas pour son bien ! -
Ci-git Hercule-Savinien
De Cyrano de Bergerac
Qui fut tout, et qui ne fut rien,
... Mais je m'en vais, pardon, je ne peux faire attendre :
Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre !
Je ne veux pas que vous pleuriez moins ce charmant,
Ce bon, ce beau Christian ; mais je veux seulement
Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres,
Vous donniez un sens double a ces voiles funèbres,
Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil.
Je vous jure !...
Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
- Ne me soutenez pas ! - Personne !
Rien que l'arbre !
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
- Ganté de plomb !
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