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Du collectif et de la fragilité de l'artiste.
Ceux qui suivent mon travail savent que je suis plutôt solitaire dans mes créations.
Non pas que ce soit un choix délibéré mais plutôt par la force des choses.
C'est pour cela que j'ai commencé la photo par des autoportraits puis par des portraits de ma moitié.
Une grande partie de mes photos qui ont eu du succès, a été prise pendant le temps de cuisson d'une casserole de riz, ou entre le brossage de dents et le couchage. Nouvelle preuve que la magie de la photo nait du trivial.


Pourtant, il m'arrive de rêver de travail d'équipe. Me retrouver sur des plateaux de tournages me conforte dans cette idée. J'étouffe parfois dans la claustrophobie de ma grotte.
Mais ceci est une toute autre entreprise et la complexité de la logistique donne souvent envie de tout envoyer valser. Trouver les protagonistes n'est pas forcément le plus difficile. Ce qui pose le plus de problème est de garder ces mêmes protagonistes dans le projet.
Et l'inspiration ne souffre aucun délai. C'est pourquoi c'est une vraie lutte que de garder la flamme allumée.

La démarche de création n'est pas à prendre à la légère. Ceci a déjà été mille fois dit. La période de création est aussi un moment de grande fragilité, ceci relève de la banalité.
Je l'avais dit dans la "Théogonie des dieux réels", le confort est chose à toujours fuir. C'est pour cela que je me donne des défis : shooter une mannequin que je rencontre pour la première fois, avec un appareil polaroïd que je ne connais pas. Faire des photos de concert avec un objectif à focale fixe, diaph fixe et au focus plus que versatile ...
Pour réussir à faire de bonnes photos dans de telles conditions, il faut pouvoir cadrer un minimum le reste. Alors ne pas savoir qui seront les modèles, ou même si il y en aura, c'est assez traumatisant. Je ne sais pas si je suis particulièrement malchanceux ou si c'est la même histoire pour tous les photographes. De mon oeil d'anachorète déprimé, j'ai l'impression que les autres n'ont pas ce genre de soucis.


Je dois également vous avouer que dans une séance photo, il y a quelque-chose du rendez-vous amoureux. Tout ce passe dans l'attente, une semaine avant on commence à y penser, à se dire que l'on a rendez-vous avec quelqu'un qui vient pour vous et que des choses intimes vont être exprimées. C'est tout une fête, on pense aux photos que l'on aimerait que le modèle donne (car c'est le modèle qui donne les photos), à celles que l'on aimerait prendre et à comment réussir à les faire donner. C'est tout une foule de sentiments qui se met alors en branle, afin d'être prêt le jour J.
Garder la flamme.
Évidement il y a le choix du matériel et du lieu, il y a les croquis griffonnés au petit matin ou juste après une émotion. Ces quelques choses tangibles et essentielles qui servent de guides. Parce que une fois la séance commencée il n'est plus question de réflèchir, il faut s'arracher les défenses et laisser la place aux émotions. Il faut sentir et ressentir, oublier la technique qui ne sert plus à rien et capturer l'émotion. Mais ça ne se fait pas seul ! La photo c'est le modèle qui la donne. Il faut être deux dans cette bulle d'affects. Partager l'espace, le remplir à deux. Se faire sa place, mais en laisser tout autant à l'autre. Un duel amoureux mais sans amour. C'est Richard Avedon, je crois, qui disait quelque chose comme : "Une photo est une intimité illégitime dont l'on garde la trace".

Je vous laisse imaginer l'état dans lequel on se retrouve quand personne n'est là le jour dit. Quand pour toute excuse, on a droit à un "J'avais mieux à faire".

Tout ceci pour vous dire que je viens de passer deux jours à faire des photos à plusieurs et que ce fut un plaisir. Même si ce fut très fatiguant, c'est toujours une expérience agréable qui vaut la peine de surmonter toutes les angoisses et les déceptions préliminaires.
En disant "Tu verras tout ce qu'on peut faire si l'on est deux" le poête exprimait la joie simple de se retrouver devant une tâche accomplie à plusieurs.


En bref, je vous déteste, mais je vous aime bien quand même.