L'association Humanité et Biodiversité que je préside œuvre à faire pleinement reconnaître le statut d'"êtres sensibles" aux animaux sauvages, statut pour le moment reconnu aux seuls animaux domestiques. Bien entendu, nous nous sommes associés à la Fondation 30 millions d'amis qui œuvre à faire sortir ces derniers de la catégorie des "meubles", comme c'est encore le cas dans le Code civil de Napoléon toujours en vigueur.
Certaines personnes se sont montrées surprises de l'intérêt et des efforts accordés à une telle entreprise à l'heure où de très graves problèmes concernent des êtres humains. Deux événements de ma vie m'ont fait comprendre que, loin d'être futile, ce projet se situe dans une mouvance très contemporaine qui justifie d'y accorder la plus grande attention.
- Le premier se passe en Libye. Visitant l'arène romaine de Leptis Magna, j'entends le guide décrire l'ambiance survoltée des jeux du cirque. Chaque jour, disait-il, plus de mille personnes et animaux étaient mis à mort, et à la plus grande joie des milliers de spectateurs enthousiastes, les sables du sol regorgeaient de leur sang. À l'époque de l'Empire romain, l'esclavage et les jeux du cirque étaient respectables. Ils faisaient partie de la vie sans être remis en question.
Je me fis la réflexion suivante : tout cela est bien terminé aujourd'hui. Nulle part dans le monde, à ma connaissance, de telles manifestations de cruauté sur des humains ne donnent lieu à des festivités. Il est devenu impensable de jeter des humains en pâture aux bêtes affamées.
De nos jours, le spectacle sanglant de la corrida, qui n'implique pourtant pas de sacrifice humain, mais celui du seul taureau, est l'objet d'une réprobation grandissante. Cette tendance humanisante va encore plus loin par rapport aux spectacles de cirque en général. On s'en tient de plus en plus à des numéros qui ne font plus intervenir d'animaux captifs. Les programmes du Cirque du Soleil en sont de merveilleux exemples. Que s'est-il passé ? Comment expliquer ce changement d'attitude des populations ?
- Le second événement se situe en Suède lors d'une rencontre avec un scientifique de ce pays qui, au cours d'un repas, me parle de l'influence bénéfique de Napoléon sur les populations du Grand Nord de la Scandinavie. Lui ayant fait remarquer qu'à ma connaissance les troupes de Napoléon n'étaient jamais venues dans cette région, il me rétorque que les campagnes napoléoniennes portèrent très loin les idées de la Révolution et des Lumières.
L'influence bénéfique des idées résumées par la devise "Liberté, Égalité, Fraternité" s'est répandue dans toute l'Europe, bien au-delà des régions affectées par les guerres. Par exemple, les mauvais traitements infligés aux serfs de ces régions devinrent progressivement l'objet de réprobation par les populations locales. Surtout grâce à la pression des familles, des épouses et des enfants, ces comportements étaient devenus socialement inacceptables.
"Ça ne se fait pas" : tels sont les mots qui accompagnent une transformation sociale de cette importance. Il ne s'agit pas ici, bien sûr, d'une réforme en profondeur des psychismes individuels, mais d'une évolution assez superficielle, qui, pourtant, suffit souvent à transformer les us et coutumes.
De telles réformes sont évidemment d'une grande fragilité. Des bouleversements sociaux suffisent parfois à tout remettre en cause. L'histoire du IIIe Reich allemand est un exemple. Les pulsions les plus sombres se libèrent quand elles ne sont plus, pour diverses raisons, socialement condamnées. Mais cela ne dure qu'un temps, ainsi le Reich s'effondre et la réprobation universelle se concrétise à nouveau avec les procès de Nuremberg.
Sur ce sujet, je conseille au lecteur le livre The Better Angel of Our Nature de Steve Tinker aux éditions Viking /Allen Lane - 2011. Cet auteur démontre, documents à l'appui, que depuis l'Antiquité la violence entre les humains est en diminution régulière et que, malgré les guerres, les génocides et autres meurtres, le XXe siècle est celui qui a fait le moins de victimes proportionnellement à la population mondiale. Difficile à croire, mais les chiffres sont bien là !
Pourtant, d'autres actes ignominieux - dont les génocides récents et le traitement de femmes lapidées - peuvent sembler remettre en cause la valeur de cette vision d'espoir en l'avenir de l'humanité. Il n'en reste pas moins que ces comportements sont aujourd'hui quasi universellement réprouvés. Je me suis plu à l'idée qu'on pouvait y voir un progrès dans le comportement des humains.
Quel rapport y a-t-il entre tout cela et le projet de changer le statut juridique des animaux dans le Code civil ?
- D'abord, la constatation que les améliorations durables s'effectuent à petits pas dans le temps. Il a fallu deux mille ans pour passer des jeux du cirque au Cirque du Soleil.
- Ensuite, le fait que l'importance de la pression sociale sur les législateurs peut jouer un rôle utile pour l'évolution des lois...
- Et, décidément, le constat que des humains prennent en compte le fait que, comme nous, les animaux sont sensibles à la souffrance est prometteur. Cela me paraît un nouveau pas en avant dans la vaste et difficile entreprise d'humaniser l'espèce humaine.
2 comments
Régis Desailly said:
Je me bat avec mes chats pour sauver ( rarement) oiseaux, grenouilles , et même taupes et souris.....
Régis Desailly said:
www.lepoint.fr/tiny/1-1759118