Hagard miroir en face du lit
Qui jette son regard blanc aux lambris du plafond
Combien d’amants en transit et de folles escapades
De nuits perdues et de secrets enfouis
Dans l’œil ouvert de ta glace
A l’iris piquée ?
La nuit respire par la fenêtre close
le volet ouvert…
Les lampadaires dans la rue déserte allument des bougies de veillée.
Sur les murs ,des ombres dansent quand passent les voitures .
Sans âme ,nuit de passage entre deux jours semblables,
de la chambre d’hôtel on fait une église
où les pas menus de la grâce
Trottinent, souris de grenier .
Où vont les heures perdues quand au lustre blafard d’une chambre d’hôtel on jette l’ œil mauvais des poètes blasés?
Vers toutes les mers , les bleues, les noires et les inventées
Vers la course folle des marées , le galop furieux des nuages emporté par un grand frais .
Je me souviens ce soir , disait l’homme aux plis de ses draps , ceux qui font une vague d’ombre jusqu’aux pieds du lit , je me souviens que la jeune femme aux cheveux longs portait au cou une pierre bleue . Il lui arrivait souvent d’enrouler sa chaînette autour de l’index quand elle était concentrée sur une tache précise . Lire sous la véranda , une main tenant les pages l’autre ajourant son corsage…ou bien regarder la mer , assise sur la plage, le sein menu tendu comme le W des boussoles ,vers l’horizon .
J’ai su , bien après, combien elle savait aussi mes petites manies : comment je tourne la boucle à mon oreille ou passe ma main sur ma bouche en pinçant les lèvres. Les gens qui s’aiment regardent l’autre dans la tendresse silencieuse de leur foi. De chaque détail ils font un point d’ancrage, pour chaque défaut ils anoblissent la faille .
Les gens qui s’aiment ne s’aiment pas parce qu’ils sont beaux ou intelligents ou forts ..la perfection est étrangère à leur fidélité . Ils s’aiment parce qu’ils s’aiment et tout cela suffit , unique et réelle tautologie qui dépasse les paradoxes de la grammaire et les boucles de la raison.
Hagard miroir en face du lit,
Œil torve de cyclope à la mémoire de tain
De moi tu ne sauras rien .
Tu m’observes, tu ne me regardes pas.
Tu ne vois que la mécanique humaine , les affres de la biologie, les marques de mon histoire singulière comme l’expression commune de la condition d’exister . Mais je ne suis qu’une image, un reflet particulier qui signifie tous les hommes dans leur grandeur et leur misère. Miroir jamais en me dédoublant tu ne feras autre chose que découvrir l’instant, tu me donnes à me voir, tu me donnes même à me comprendre dans la réalité d’un phénomène qui s’agite et pense, mais mon histoire ne t’appartient pas car tu ne me donnes jamais à m’aimer.
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Hagard miroir 2009 , les cantilènes de l'amour
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