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Auteur : Bernard Quiriny
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes vient de publier une brochure intitulée « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe ». Elle vise, grâce à dix recommandations pratiques, à aider les personnes publiques (Etat et collectivités territoriales) à éradiquer ces stéréotypes dans leur communication. Ce document mérite d’être lu, ne serait-ce que pour rire ; si vous n’avez pas le temps, Anna Rosencher, dans Marianne, en a tiré les meilleurs morceaux. On se demande ce qui terrifie le plus dans ce prototype de la prose bureaucratique moderne, caractéristique du despotisme démocratique prévu par Tocqueville, « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux ». L’esprit de sérieux ? Le souci, précisément, de l’infime détail ? Le plus frappant, en fait, c’est peut-être l’indifférence absolue des auteurs à l’égard de la beauté de la langue. Ils n’ont aucun, mais alors vraiment aucun scrupule à la ravager pour les besoins de la cause. Même, ils le revendiquent. Répondant aux objections contre la féminisation de la langue (pardon, « l’usage du féminin dans la langue »), notamment l’argument « esthétique » selon lequel « “écrivaine”, “pompière”, ce n’est pas beau », ils écrivent : « Le fait de systématiser l’usage du féminin est d’abord une question d’habitude. Ce n’est pas une question d’esthétique, car aucun mot n’est beau ou laid en soi. »
Aucun mot n’est beau ou laid en soi. Vraiment, rien n’est plus étranger à ces gens que l’idée de la poésie. On dira qu’il n’appartient pas aux personnes publiques, destinataires du guide, de se préoccuper d’abord de beauté de la langue ; de là à dire qu’elles doivent s’en désintéresser tout à fait, il y a un pas. Le Haut Conseil le franchit dans ses recommandations. Notamment, à l’écrit, il explique que « le point peut être utilisé alternativement en composant le mot comme suit : racine du mot + suffixe masculin + point + suffixe féminin ». Exemple, page 3 : « Ces représentations auxquelles les citoyen.ne.s sont constamment exposé.e.s renforcent les stéréotypes de sexe » ; ou bien, même page : « Nous remercions les linguistes, les professionnel.le.s de la communication, les fonctionnaires et toutes celles et ceux, dont les membres du HCEfh, qui y ont contribué ». Génial, non ? Le correcteur de mon traitement de texte souligne « citoyen.ne.s », « exposé.e.s » et « professionnel.le.s » ; il faudra rééduquer les gens de Microsoft. Je remarque aussi que les auteurs restent en-deçà de leurs préconisations : il aurait fallu écrire « tou.te.s celles et ceux » et non « toutes celles et ceux ». Pas si simple, la novlangue !
Pour m’entraîner, je me suis livré à un exercice : réécrire en français postmoderne quelques articles de notre Constitution, laquelle, rédigée dans des temps obscurs, est scandaleusement incompatible avec les recommandations qu’on vient de lire. Voici ma copie, que je compte expédier au Haut Conseil pour correction.
Article 5 : « Le ou la Président.e de la République veille au respect de la Constitution. Il ou elle assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il ou elle est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »
Article 8 : « Le ou la Président.e de la République nomme le ou la Premier.e ministre [faut-il dire ministre ou ministresse, pour une femme ? J’hésite. Dans le doute, je prends le parti du maximalisme : Premier.e ministre.sse]. Il ou elle met fin à ses fonctions sur la présentation par celui ou celle-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du ou de la Premier.e ministre.sse, il ou elle nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions. »
Article 14 : « Le ou la Président.e de la République accrédite les ambassadeurs ou ambassadrices et les envoyé.e.s extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs ou ambassadrices et les envoyé.e.s extraordinaires étranger.e.s sont accrédité.e.s auprès d’elle ou de lui. »
J’attire ici l’attention du correcteur ou de la correctrice sur le fait que j’ai suivi la recommandation n°4, page 17 : « utiliser l’ordre alphabétique lors de l’énumération de termes identiques (ou équivalents) au féminin et au masculin », pour « varier afin de ne pas mettre systématiquement le masculin en premier, par habitude, ou en second, par “galanterie” » ; d’où « d’elle ou de lui » plutôt que « de lui ou d’elle ». Reprenons.
Article 32 : « Le ou la président.e de l’Assemblée nationale est élu.e pour la durée de la législature. Le ou la Président.e du Sénat est élu.e après chaque renouvellement partiel. »
Article 49 : « Le ou la Premier.e ministre.sse, après délibération du conseil des ministre.sse.s, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. »
Article 54 : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le ou la Président.e de la République, par le ou la Premier.e ministre.sse, par le ou la président.e de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante député.e.s ou soixante sénateurs ou sénatrices, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, etc. »
C’est mieux, en effet. Le texte paraît-il plus encombré ? Non. Le Haut Conseil l’assure, « l’usage du féminin clarifie un texte puisqu’il permet de comprendre qu’on y évoque aussi les femmes » (page 8). La féminisation systématique des noms de fonction, elle, permet de ne pas « invisibiliser les femmes » (page 12. Mon correcteur tique à nouveau sur « invisibiliser ». Décidément !). Enfin, le message constitutionnel s’adressant à « tous et toutes », le fait d’y employer le féminin et le masculin permet que « les femmes comme les hommes soient inclus.e.s, se sentent représenté.e.s et s’identifient » (page 15).
Nouvelle faute de novlangue de la part du HCEfh, au passage : il aurait fallu écrire « soient inclus.es » et non « soient inclus.e.s », le masculin d’incluses n’étant pas « incluss ». Comme on voit, c’est difficile. Moi-même, j’ai encore besoin d’entraînement ; je vais donc continuer ma réécriture de la Constitution.
Il faudra trouver, je crois, quelque chose pour remplacer l’article 2, alinéa 1 : « La langue de la République est le français. »
14 comments
Ghislaine said:
Mon truc à moi , mon cheval de bataille , depuis que je sais parler et que , j'ai découvert que j'avais un cerveau c'est ... le "garçon manqué" ; car oui , on rate un garçon comme on rate un court-bouillon , mais qu'en est-il des mayonnaises réussies ,
C'est triste , même les femmes emploient cette expression ...
;-)))
Lolita P. B. said:
La novlang a déjà donné un bel aperçu de son registre lors des temps forts récents de la réforme de l'enseignement, là aussi à se plier de rire si ce n'était si triste...
Ghislaine replied to Lolita P. B.:
Le collier est là , pour chacune , seul le look diffère ...
Lolita P. B. said:
Tu as de belles occupations, dis-moi ! bravo !
Ghislaine said:
Lolita P. B. said:
Typo93 said:
Le principe est simple : plus on diminue le nombre de mots d'une langue, plus on diminue le nombre de concepts avec lesquels les gens peuvent réfléchir, plus on réduit les finesses du langage, moins les gens sont capables de réfléchir, et plus ils raisonnent à l'affect. La mauvaise maîtrise de la langue rend ainsi les gens stupides et dépendants. Ils deviennent des sujets aisément manipulables par les médias de masse tels que la télévision.
C'est donc une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l'expression des idées potentiellement subversives et à éviter toute formulation de critique de l’État, l'objectif ultime étant d'aller jusqu'à empêcher l'«idée» même de cette critique."
(Wikipédia)
Nous sommes en plein dedans !!!
Si le (ou la) novlangue est une simplification du langage, le terme est mal choisit par l'auteur de l'article (par ailleurs très bien fait). Il s'agit plutôt, pour moi, d'une complexification dues à des technocrates voulant justifier leurs salaires.
Au nom de l'égalité, ces mêmes technocrates ont inventé la "parité" hommes/femmes. C'est dans l'air du temps. Ça devient débile quand il s'agit de représentation politique. Un parti, un gouvernement, devraient avoir le même nombre d'hommes et de femmes ou s'en approcher ? C'est idiot puisque, en politique, les hommes sont largement majoritaires. Ce n'est pas de la ségrégation, c'est simplement dû au fait que les femmes sont moins intéressées par ce genre de carrière et elles ont bien raison (ou pas, peut-être...) ! Le résultat est que certaines sont nommées à des postes à hautes responsabilités non pas pour leurs réelles compétences mais "grâce" à leur sexe !
Au fait, toujours pas de terme pour désigner un homme sage-femme ?
Ghislaine replied to Typo93:
d'ailleurs plongeons dans les catalogues de jouets qui nous indiquent quoi acheter aux chers petits ...
Et la question du jour : pourquoi les femmes ne sont pas intéressées par ce genre de carrière ?
retour en arrière à la première couche-culotte ....
Anji. said:
Typo93 replied to Anji.:
J'en doute.
Quelqu'un(e) a-t-il(elle) vu le documentaire "Macho Politico" passé sur Canal+ ? Très édifiant.
En résumé, toutes nos plus hautes instances (gouvernement, Assemblée nationale, Sénat, Conseil d'Etat, etc) sont essentiellement masculines (ça, on le savait) et les quelques femmes qui arrivent à s'y introduire sont en proie aux sarcasmes et aux réflexions ras-les-pâquerettes de ces messieurs, même les plus connues sont visées.
Nos mâles-élus (mal élus?) sont au niveau du bistro du coin de la rue, sauf exceptions nous sommes gouvernés par des beaufs de chez beauf !
S'il y a souvent de nombreuses femmes dans les gouvernements "tout neufs", elles sont aussi les premières à dégager lors des remaniements. L'exemple le plus spectaculaire étant les "juppettes" d'Alain Juppé.
Je crois que je vais regretter Taubira !
Lolita P. B. replied to :
Les femmes ont un énoooorme défaut : par leur refus des compromis compromettants et leur impatience à agir dès lors qu'un objectif est défini, elles annihilent les fondements de toute action Politique, donc elle dérangent et donc elles doivent dégager... nonobstant vous trouverez tjrs les plus solides et pugnaces là où le travail de fond se réalise dans le plus grand secret, tandis que les panaches oratoires enfumeurs se donnent en spectacle...
Vous n'aurez pas à regretter Taubira, elle n'est pas sortie, pas encore ! certes elle n'a pas eu "la manière" qui l'aurait mise à l'abri des inimitiés puissantes, mais n'a-t-elle pas endossé le costume masculin au sens politique du mot en faisant "spectacle" ? elle s'en est donnée à coeur joie et pourtant cela n'était pas nécessaire à la réussite de son action réformatrice du judiciaire...
[A mon avis] elle quitte ce ministère par nécessité de cohérence du tout sécuritaire, incapable qu'elle est d'ajuster son discours et ses actions qui constituent son fond de commerce à la réalité de la politique de guerre anti-terroriste... à chacun son métier après-tout !
Mais non, elle n'est pas sortie : elle a visiblement accepté une autre mission, celle de rassembler et de conduire et de canaliser toutes les dissidences de la Gauche-Gauche, au nom de "sa "loyauté au Président de la République"... Gageons qu'elle s'en sortira mieux que la juge Eva Joly en son temps !!! Savoir si la société civile française traditionnelle y trouvera son compte, si elle lui en sera reconnaissante après l'avoir portée au pilori, savoir si elle saura ainsi se défaire de cet habit de laxisme qui lui colle au faciès... ??? Une chose est certaine : notre société française n'a aucun intérêt à désavouer et exécuter politiquement de telles personnes...
Merci pour vos réflexions Amis !
Typo93 replied to :
Anji. said:
Quant au regard des Français sur ceux qui s'en vont, c'est éphémère. le temps de regarder ailleurs. Papillons qui butinent et qui reviennent sur le pistil qu'ils viennent d'explorer ! Belle journée à vous !
Lolita P. B. said: