ls sont peu nombreux mais ô combien généreux » (Romain, 33 ans) ; « Ils sentent les choses à distance » (Caroline, 32 ans) ; « Ils donneraient leur vie sans poser de questions » (Laura, 40 ans)… Qui sont ces êtres hors du commun, doués d’un fabuleux sixième sens, d’un admirable esprit de sacrifice ? Des amis, tout simplement. Des amis tels qu’ils sont ou tels que nous les rêvons. Car pour parler d’amitié, nous sortons volontiers les violons et les superlatifs.Nos amis sont-ils si parfaits ? Pourquoi ne tarissons-nous pas d’éloges à leur égard ? Sans doute parce qu’ils sont indispensables à notre construction. Dès l’enfance, ils nous permettent de grandir en trouvant des objets d’amour hors de notre famille. Lorsque nous sommes adultes, ces affinités électives nous aident à renforcer notre narcissisme sans tout miser sur nos relations amoureuses.
« J’ai besoin d’amis pour entendre que je ne suis pas seul dans mes pensées, mes idées, mes sentiments, que je ne suis pas hors du monde, mais bien recevable », déclare Emmanuel, 34 ans. On ne choisit pas sa famille mais on choisit ses amis… et eux nous choisissent. « Le lien amical apporte une confirmation de soi : j’existe et je compte pour quelqu’un, je peux lui être utile », indique le psychosociologue Jean Maisonneuve (auteur de "Psychologie de l’amitié" PUF, 2004). Si bien souvent nous clamons que la véritable amitié ne saurait être intéressée, consciemment ou non, nous escomptons de chaque relation un certain bénéfice. « J’ai des amis avec qui je peux aller faire la fête, d’autres avec qui je parle d’aspects plus profonds de ma vie, d’autres encore qui me maternent », énumère Géraldine, 27 ans.
Nous aurions en moyenne cinq vrais amis (sondage Ifop-L’Express, 2000), qui n’ont pas tous les mêmes "compétences". Avec l’aide de plusieurs spécialistes, nous avons établi leur typologie. Ces cinq "fonctions" peuvent bien sûr se trouver réunies chez un seul de nos amis proches, mais ce que nous aimons dans l’amitié, c’est aussi la diversité des êtres rencontrés. A travers eux, nous recherchons à la fois le confort et le risque, le connu et l’inconnu… Si nous aimons tant nos amis, c’est qu’ils nous permettent de combler ces besoins contradictoires, d’être nous-même dans toute notre complexité en étant différents avec chacun.
Dans l’union étroite avec un autre être, mais hors des tourments de l’amour, nous recherchons un rempart contre notre solitude existentielle. « Mon amitié avec Marthe a profondément changé ma vie, on en a d’ailleurs fait un livre ("L’Intimité ou Comment être vrai avec soi et les autres" de Geneviève Lefebvre-Decaudin et Marthe Marandola, Lattès, 2004), témoigne la psychothérapeute Geneviève Lefebvre-Decaudin. Elle me donne une sécurité intérieure que ma famille ne peut me donner. »
Ni tout à fait moi-même, ni tout à fait un autre, l’ami symbiotique est mon double, mon miroir, celui avec qui je suis uni par des liens qui me semblent aussi indéfectibles qu’inexplicables. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », commente laconiquement Montaigne à propos de son grand ami La Boétie. « Dans une relation symbiotique, nous cherchons à être rassurés. C’est une amitié à tendance exclusive, je réduis le monde à ma relation à toi », résume le psychologue Patrick Estrade. Le monde paraît moins dangereux si nous sommes deux pour l’affronter. Mais de cette amitié « amoureuse » parfois étouffante, nous n’avons pas tous besoin, préférant la tranquillité d’un lien moins passionnel, plus solide à long terme.
L’amitié offre la possibilité précieuse de ne pas être irréprochable, de pouvoir se montrer sans fard, avec ses doutes et ses insuffisances. « Le véritable ami est celui devant qui l’on peut se montrer nu », assure la thérapeute Marthe Marandola. « Pouvoir se confier et être vraiment compris sont donnés comme les premiers critères d’une amitié intime, confirme Jean Maisonneuve. D’autant que les enquêtes montrent qu’aujourd’hui, on est plus tolérant vis-à-vis de ses amis. On est passé d’une amitié exigeante à une amitié complice. »
« Cette robe ne te va pas » ; « Tu devrais peut-être le quitter »… D’un ami, nous acceptons des remarques que nous ne tolérerions de personne d’autre. « Les amis peuvent être des interlocuteurs de confiance parce que les enjeux sont moins importants que dans le couple ou dans la famille, explique le psychiatre Bernard Geberowicz. Ils donnent un avis plus désintéressé. » L’ami confident est celui qui ne me juge pas, qui me parle sans langue de bois… mais dont la franchise peut parfois me blesser.
L’ami tradition est aussi celui avec qui on a remis en cause les valeurs familiales, pris de la distance par rapport à ses parents. « On trouvait toujours les parents de l’autre un peu meilleurs que les siens, commente la psychanalyste Danièle Brun. Si les parents sont morts aujourd’hui, l’ami nous rattache aussi à une période de la vie où ils étaient encore vivants, attaquables. » Même si nos vies ont pris depuis des chemins différents, j’ai besoin de ce témoin du passé qui me rappelle mes racines, me permet de mesurer le chemin parcouru. Au risque de cultiver une certaine nostalgie.
L’ami compensation me permet de rejouer des scénarios de l’enfance, mais allégés de la jalousie qui est souvent le lot des relations entre frères et sœurs. Il est aussi celui qui me donne ce qui me manque, qui me permet de réparer les blessures de l’enfance. « Pour moi, Yannick est un peu comme un grand frère, explique Henri, 45 ans. Il me donne des conseils pour le boulot, il me coache. Dans un sens, il remplace ce père que j’ai très peu connu. » L’ami compensation me permet de régler mes névroses familiales, mais je risque aussi de lui faire payer des souffrances dont il n’est pas responsable.
Concrétisant des choses restées latentes chez moi, l’ami ouverture représente la personne que j’aurais pu devenir si les circonstances de la vie avaient été différentes. Ami « poil à gratter », il m’amène aussi à me remettre en question. Ami initiatique, il me montre une autre voie. A condition que nos différences restent source d’enrichissement, non d’incompréhension.
Importante. 96 % des Français estiment que l’amitié est importante pour leur plaisir et leur équilibre personnel, et 49 % la jugent indispensable.
Active. Nous avons connu 25,6 % de nos amis pendant nos études, 20 % dans notre milieu professionnel, 15,6 % dans nos relations de voisinage. Enfin, 10,8 % d’entre eux nous ont été présentés par d’autres amis et 8,9 % par notre famille.
Clanique. Les amis d’un ouvrier sont à 55,1 % des ouvriers, à 3,5 % des cadres. Les amis d’un cadre sont à 50,5 % des cadres, à 7 % des ouvriers… L’amitié franchit rarement les barrières sociales.
Sources : Ifop/L’Express, 2000, et Insee, octobre 1998.
2 comments
Disk Failure replied to :
Christel Ehretsmann said: