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Réhabilitation d'un vilain petit canard.(pour Ghislaine)
L'origine de la chauve souris
ou
L’étrange fruit d'amours inattendues.
Diély Boukary, de Bamako, est un excellent griot qui sait avec art pincer les cordes de sa
cora et en tirer une mélodie dont la mélancolique harmonie évoque l'épopée des aïeux
disparus. Il sait aussi, qualité non moins précieuse pour un griot, égayer les veillées de
contes et de récits plaisants. Certains y trouvent prétexte à rire, d'autres des sujets de
réflexion, d'autres encore des leçons morales ou spirituelles.
Un soir, il débuta la séance par cette exclamation fraternelle : « Ô Maison mère, Ô enfants
de cette maison ! » ...
Puis il nous conta l'origine de la chauve-souris, au tout début du monde. Il y a longtemps,
bien longtemps, il n'existait sur notre terre que les herbes des champs, les oiseaux et un
petit carnassier : le renard. Ce dernier, aussi agile qu'un épervier et plus vorace que le feu
de l'enfer, faisait un véritable carnage parmi les oiseaux. Il les croquait soir et matin, petits
ou gros, jeunes ou vieux, avec tant d'appétit qu'un jour il n'en resta plus qu'un seul sur la
terre. Lorsqu'il s'en rendit compte, le renard se dit à lui-même :
« Tant pis ! Cet ultime individu subira le sort de ses semblables. La loi du ravitaillement de
mon ventre est inexorable. »
Dès lors commença entre les deux animaux une partie acharnée et mouvementée. La
chasse allait se terminer tragiquement pour l'oiselet quand celui-ci, au moment même où
la griffe de son ennemi allait s'abattre sur lui, s'écria dans une inspiration subite :
« Eh ! Renard ! Je suis l'unique survivant de tous mes congénères. Dernière semence de
tous les oiseaux à venir, qu'ils soient du jour ou de la nuit, du lac ou de la forêt, de la grève
ou de la dune, je suis leur seul espoir. Je t'en prie, Frère Renard, au nom de la
compassion, accorde-moi la vie sauve ! »
Pour une fois, le père de tous les renards oublia son propre intérêt. Il accepta d'avoir
faim et de souffrir afin de laisser vivre le dernier représentant de la race qu'il avait luimême
anéantie. Mieux encore, pour se faire pardonner, il offrit à l'oiselet son amitié et lui
demanda la sienne. L'accord fut conclu. Le renard devint frugivore. Il ne buvait plus de
sang chaud, sa nature se tempéra, il devint même galant et prévenant. Chaque jour, en
effet, il ne manquait pas de rendre visite à son amie renarde.
Ainsi allèrent les choses tandis que sous la surveillance du Créateur les années
s'écoulaient, que la Terre se déroulait comme un tapis et qu'apparaissaient montagnes et
végétation.
Enfin le temps, cet outil magique, usa la querelle qui avait opposé le renard à l'oiselet.
Avec les saisons, ce dernier était d'ailleurs devenu une charmante oiselle de son espèce.
Parée d'un plumage multicolore, elle était si séduisante qu'elle en vint à conquérir le coeur
du renard. Et pour lui, ce fut l'amour. Les deux anciens ennemis en vinrent au dénouement
de tout amour heureux et ils accomplirent ― j'en demande pardon à vos oreilles―
ce que les bergers peuls nomment en termes polis « kiri kipp »
.De cette union hybride naquit un être entièrement nouveau : la chauve-souris aux ailes
membraneuses, l'être volant aux dents pointues mais qui allaite son poussin. Et voilà
pourquoi la chauve-souris est mammifère parmi les oiseaux, et oiseau parmi les
mammifères...
Ici finit le conte
...
Mais pour qui réfléchit, il apparaîtra résumé tout entier par trois mots : espoir, compassion,
amour. A ces trois vertus on doit ici d'abord le salut d'une vie, ensuite la victoire remportée
sur une nature sauvage, enfin l'union de deux êtres différents pour en créer un troisième.
Amadou HAMPÂTÉ BÂ.
L'origine de la chauve-souris. Extrait du recueil : « Il n’y a pas de petite querelle », Nouveaux contes de la savane,

4 comments

Ghislaine said:

Merci de penser à moi ...
y a-t-il un conte pour Souricette ?
;o)
6 years ago ( translate )

Anji. replied to Ghislaine:

Je vais te chercher ça ! :-)
6 years ago ( translate )

Anji. replied to Ghislaine:

En attendant le conte spécial Souricette (en gestation! :-)), je te propose Tolstoï :

touslescontes.com/biblio/conte.php?iDconte=320
6 years ago ( translate )

Anji. said:

(Copie plus présentable. )

L'origine de la chauve souris
ou
L’étrange fruit d'amours inattendues.
Diély Boukary, de Bamako, est un excellent griot qui sait avec art pincer les cordes de sa
cora et en tirer une mélodie dont la mélancolique harmonie évoque l'épopée des aïeux
disparus. Il sait aussi, qualité non moins précieuse pour un griot, égayer les veillées de
contes et de récits plaisants. Certains y trouvent prétexte à rire, d'autres des sujets de
réflexion, d'autres encore des leçons morales ou spirituelles.
Un soir, il débuta la séance par cette exclamation fraternelle : « Ô Maison mère, Ô enfants
de cette maison ! » ...
Puis il nous conta l'origine de la chauve-souris, au tout début du monde.
Il y a longtemps, bien longtemps, il n'existait sur notre terre que les herbes des champs, les oiseaux et un petit carnassier : le renard. Ce dernier, aussi agile qu'un épervier et plus vorace que le feu de l'enfer, faisait un véritable carnage parmi les oiseaux. Il les croquait soir et matin, petits ou gros, jeunes ou vieux, avec tant d'appétit qu'un jour il n'en resta plus qu'un seul sur la terre. Lorsqu'il s'en rendit compte, le renard se dit à lui-même :
« Tant pis ! Cet ultime individu subira le sort de ses semblables. La loi du ravitaillement de
mon ventre est inexorable. »
Dès lors commença entre les deux animaux une partie acharnée et mouvementée. La
chasse allait se terminer tragiquement pour l'oiselet quand celui-ci, au moment même où
la griffe de son ennemi allait s'abattre sur lui, s'écria dans une inspiration subite :
« Eh ! Renard ! Je suis l'unique survivant de tous mes congénères. Dernière semence de
tous les oiseaux à venir, qu'ils soient du jour ou de la nuit, du lac ou de la forêt, de la grève
ou de la dune, je suis leur seul espoir. Je t'en prie, Frère Renard, au nom de la
compassion, accorde-moi la vie sauve ! »
Pour une fois, le père de tous les renards oublia son propre intérêt. Il accepta d'avoir
faim et de souffrir afin de laisser vivre le dernier représentant de la race qu'il avait lui-même
anéantie. Mieux encore, pour se faire pardonner, il offrit à l'oiselet son amitié et lui
demanda la sienne. L'accord fut conclu. Le renard devint frugivore. Il ne buvait plus de
sang chaud, sa nature se tempéra, il devint même galant et prévenant. Chaque jour, en
effet, il ne manquait pas de rendre visite à son amie renarde.
Ainsi allèrent les choses tandis que sous la surveillance du Créateur les années
s'écoulaient, que la Terre se déroulait comme un tapis et qu'apparaissaient montagnes et
végétation.
Enfin le temps, cet outil magique, usa la querelle qui avait opposé le renard à l'oiselet.
Avec les saisons, ce dernier était d'ailleurs devenu une charmante oiselle de son espèce.
Parée d'un plumage multicolore, elle était si séduisante qu'elle en vint à conquérir le coeur
du renard. Et pour lui, ce fut l'amour. Les deux anciens ennemis en vinrent au dénouement
de tout amour heureux et ils accomplirent ― j'en demande pardon à vos oreilles―
ce que les bergers peuls nomment en termes polis « kiri kipp »
.De cette union hybride naquit un être entièrement nouveau : la chauve-souris aux ailes
membraneuses, l'être volant aux dents pointues mais qui allaite son poussin. Et voilà
pourquoi la chauve-souris est mammifère parmi les oiseaux, et oiseau parmi les
mammifères...
Ici finit le conte
...
Mais pour qui réfléchit, il apparaîtra résumé tout entier par trois mots : espoir, compassion,
amour. A ces trois vertus on doit ici d'abord le salut d'une vie, ensuite la victoire remportée
sur une nature sauvage, enfin l'union de deux êtres différents pour en créer un troisième.
Amadou HAMPÂTÉ BÂ.
L'origine de la chauve-souris. Extrait du recueil : « Il n’y a pas de petite querelle », Nouveaux contes de la savane,
6 years ago ( translate )